Entretien sur les nouvelles technologies dans la céramique contemporaine
Pour son travail de mémoire, une étudiante en art contemporain s’est intéressée aux relations entre les nouvelles technologies et la céramique contemporaine. Voici alors la retranscription de cet entretien sur les nouvelles technologies dans la céramique contemporaine.
1. Comment percevez-vous l’évolution de l’artisanat traditionnel face à l’intégration croissante des technologies numériques ?
À mon sens, l’arrivée des technologies numériques dans l’artisanat de la céramique ne va pas révolutionner la pratique de la céramique, puisque les céramistes sont déjà équipés de toutes les machines nécessaires à leur métier et ont déjà de larges savoir-faire permettant l’élaboration de plus ou moins n’importe quelle forme envisageable. D’autant plus que ces technologies nouvelles ont-elles aussi des contraintes, en tout cas pour celle de l’impression 3D céramique, tel qu’une mauvaise productivité, des contraintes dans les géométries, peu d’accessibilité en tout point… Donc, les céramistes conventionnels n’ont pas tant de raisons de se précipiter sur ces nouvelles technologies. Cela ne veut pas dire qu’ils ne vont jamais s’y intéresser ! Je pense juste que cela va se faire progressivement. Ça ne sera pas une révolution, mais une évolution douce, dans laquelle, les pratiques vont cohabiter. (Lire cet article pour plus de détails).
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2. Dans votre pratique, comment équilibrez-vous le travail manuel et l’automatisation ? Pensez-vous que la technologie peut enrichir ou, au contraire, diluer le caractère artisanal d’une pièce ?
Dans ma pratique, la seule phase automatisée est l’impression des volumes. La partie en amont, à savoir la modélisation, n’est pas automatisée. Et la partie en aval qui consiste à assembler les volumes imprimés, se fait à la main. Mon imprimante me sert à créer des volumes que je viens assembler entre eux, autant qu’un céramiste qui travaille à la plaque vient assembler des surfaces de terre. J’ai juste une dimension en plus.
Qu’entend-on par caractère artisanal ? L’aspect fait main ? Dans ce sens, oui, mes mains sont moins en contact avec la matière que le céramiste qui travaille au tour. Mais elles le restent quand même en bonne partie. Si le caractère artisanal désigne les petites séries, qui viendraient s’opposer aux productions industrialisées, privées d’authenticités et d’attentions à chaque pièce produites, alors je tiens à rappeler que le procédé que j’utilise à une moins bonne productivité que le tour de potier, ou au mieux, une productivité similaire. Et qu’enfin, bien qu’un fichier d’impression soit le même au sein d’une série, il existe quand même des variations dans les pièces.
3. Est-ce que l’utilisation des technologies, comme l’impression 3D, change votre rapport à la matière, par exemple dans le façonnage ou la finition ?
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L’impression 3D céramique rend le rapport à la terre un peu plus imprévisible. Lors de la modélisation, on ne sait jamais comment le volume va rendre lors de l’impression. Impossible de se projeter. Alors on est obligé de faire des impressions tests. À la fin de l’impression, la pièce est trop molle pour être touchée, car la terre fraîche s’accroche aux doigts. Alors il faut estimer le temps de séchage adéquat pour qu’elle puisse être manipulée et assemblée a un autre élément. Pas assez sèche, et le volume s’affaisse et garde les traces de manipulation, trop de sèche, et la pièce ne peut plus être assemblé. La texture de surface étant si finement dessinée que des traces de manipulation peuvent très facilement ruiner l’apparence de la pièce imprimée. Cela demande donc beaucoup de délicatesse et de précision. C’est un peu de la chirurgie.
4. Pensez-vous qu’une œuvre céramique réalisée avec des outils numériques peut encore être qualifiée de « faite main » ? Où situez-vous la frontière entre artisanat et technologie ?
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D’un point de vue très pratique, il y a une bonne partie de mon travail qui est “fait main”, car il y a toujours les parties de préparation de la terre, les manipulations, les assemblages, les ébavurages, les émaillages, qui ne peuvent se faire autrement qu’a la main.
Pour ce qui est de la frontière entre artisanat et technologie, cela sous-entend que les deux se dissocient, voire qu’elles sont en confrontation. Or, la technologie, c’est l’étude des outils et de la technique. L’artisanat a toujours utilisé les technologies, fussent-elles nouvelles ou éprouvées. Je crois même que la technologie est nécessaire à l’artisanat, et que l’artisanat ne peut pas exister sans les technologies (anciennes ou nouvelles). Depuis la préhistoire, l’homme utilise des outils pour fabriquer des choses. Exemple : la taille des silex. L’outil est une simplissime : une pierre. Aujourd’hui, rien n’a changé, les outils se sont seulement plus sophistiqués. Que ce soit l’artisan coiffeur qui utilise une tondeuse électrique ou l’artisan menuisier qui utilise des scies à commande numérique. En réalité, dans notre époque, quasi-inexistante sont les artisans qui modifient la matière directement à la main, sans technologie, sans outil (si l’on ne considère pas déjà la main comme un outil).
Et donc pour moi, qu’importe si les technologies sont nouvelles ou au contraire, anciennes et archaïques. La date d’une technologie ne permet pas de placer une frontière entre artisanat et technologie.
Toutefois, une frontière peut-être placée quant à la nature de cette technologie, plutôt qu’à son âge. On peut distinguer les outils utiles à l’intelligence créative de la main, propres à l’artisan, à savoir la dextérité et l’aptitude à manipuler et à transformer la matière ; De ceux utiles à l’intelligence créative de la tête, propres au designer, à savoir produire un dessein et à conceptualiser une forme dans l’espace. L’imprimante 3D céramique à l’ambiguïté d’être une passerelle entre ces deux catégories et nécessite donc la maîtrise des savoir faire de ces deux métiers. Avant l’impression, je suis designer, lors de l’impression, je suis artisan-designer, après impression, je suis artisan.
5. Comment intégrer les nouvelles technologies tout en restant fidèle à l’héritage de la céramique en tant qu’artisanat ancien ?
Ma manière de rester fidèle à l’héritage de la céramique ne se fait donc pas tant dans les procédés, mais plutôt par le respect d’un héritage stylistique.
C’est-à-dire qu’artistiquement, j’essaie de ne pas chuter dans le modernisme et le post-modernisme qui sont une déconstruction (et une destruction) de cet héritage. Et je crois que cet aspect est plus important que la manière de façonner. Car gardons les choses à leurs places : les procédés ne sont que des moyens d’arriver à une forme, expression du fond. Le plus important est bien le résultat. À titre d’exemple, l’artisanat de la céramique n’a jamais été aussi grand que sous le néo-classicisme notamment avec la porcelaine de Sèvres, courant artistique consistant à embrasser l’héritage stylistique des siècle passés (et plus particulièrement ceux de l’antiquité), et accepter les technologies de pointe de l’époque. L’apparition de la porcelaine en Europe et les technologies qui ont permis sa production ont sans doute été une innovation de la même échelle que celle de l’impression 3D céramique aujourd’hui.
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6. Est-ce que votre travail chercher à questionner ou à subvertir des notions traditionnelles liées à la céramique et à l’artisanat ?
Oui, en quelque sorte. Une partie de mon travail consiste à éveiller sur l’obsolescence esthétique. Devant les conjonctures climatiques, beaucoup d’architectes, et de designers voient la nécessité de proposer des projets durables. Le design durable se présente donc comme une méthodologie comprenant plusieurs stratégies : utiliser des matériaux biosourcés, recyclables, résistant l’épreuve du temps et des utilisations répétées, et bien d’autres astuces. Malheureusement, tout est abordé et tout devient durable, sauf le style.
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Un objet durable, malgré les qualités citées, aura-t-il une grande longévité s’il devient rapidement démodé et ringard ? Par exemple, ce sont les hideux bâtiments des années 60 qui sont détruits avant les bâtiments haussmanniens. Ces derniers, bien qu’un siècle plus ancien, s’inspirent volontiers de l’architecture néoclassique, néoromane et néogothique. Ils n’ont pas “mal vieilli” et sont encore estimés pour leur élégance. Lorsqu’il s’agit d’objets utilitaires ou d’objets d’art, c’est la même histoire.
On préférera toujours conserver, améliorer, réparer, donner une seconde vie à des objets que l’on trouve beau. Dès lors, il faut éviter les modes, puisqu’elles se démodent. Et donc adopter un style intemporel.